J’ai déjà parlé de Steve Reich précédemment dans des posts consacrés à d’autres artistes (Yann Tiersen -dont il est une influence-, Moondog -qu’il a soutenu-), il est maintenant temps de lui consacrer un article…
Il était une fois la musique contemporaine… Au début du siècle dernier, des compositeurs (dont une forte concentration à Darmstadt en Allemagne) vont au bout d’une évolution de la musique savante occidentale consistant à utiliser des harmonies de plus en plus complexes (dissonantes, pourrait-on dire pour faire simple). Il en arrivent donc à instaurer un égalitarisme total dans la théorie de la musique : toutes les notes de la gamme doivent être utilisées aussi souvent les unes que les autres, abolissant de fait la notion de tonalité (do majeur, sol mineur, etc). La musique sérielle est née, point de départ de la musique dite « atonale », musique censée être en avance sur son temps, mais qui, plus d’un siècle après son invention, peine toujours à trouver un large public en dehors des BO de thrillers et de films d’épouvante. Elle est donc soit très en avance sur son temps, soit inaudible… Après les notes, on instaure des règles de compositions de plus en plus strictes, en sérialisant également les durées et les intensités, pour aboutir à un résultat paradoxal : trop de règles tuent les règles, elles produisent une musique qui ressemble à un grand fouillis aléatoire.
Bref, cette musique issue de la vieille Europe, toujours plus formalisée, aboutit plus ou moins à une impasse (je recommande à ce sujet le livre Requiem pour une avant-garde, de Benoit Duteurtre), conduisant des compositeurs outre-atlantique à prendre le contre-pied de cette démarche : Terry Riley, puis Steve Reich et Philip Glass réaffirment plus fortement que jamais la prééminence de certaines notes par rapport à d’autres ainsi que l’importance des repères rythmiques en inventant la musique répétitive (ou musique minimaliste). Aux antipodes des Schoenberg, Boulez, Messiaen, Xenakis et consorts, ils créent des musiques à partir de motifs extrêmement simples qu’ils déclinent à l’infini par une suite de micro-variations : alors que les sérialistes et leurs héritiers veulent utiliser toutes les notes à la fois, abolir toute pulsation rythmique régulière, Steve Reich et les minimalistes étudient les musiques extra-européennes (musiques de transe africaines, musique de gamelan balinais), et s’échinent à produire une musique utilisant très peu de notes et des motifs extrêmement simples et réguliers.
Leur premières tentatives, dans les années 60 (comme par exemple Piano Phase, de Reich, Music with changing parts, de Glass) sont assez jusqu’au-boutistes et peuvent être un peu trop ardues pour s’initier à ce genre de musique. J’ai donc choisi une œuvre plus accessible de Steve Reich (mon préféré des compositeurs minimalistes), qui s’avère également être une de mes préférées et que j’ai eu la chance de voir interprétée par Steve Reich en personne à la Cité de la Musique. Cette pièce en 14 parties, qui dure une petite heure au total, est particulièrement aboutie en ce qui concerne la superposition et la transformation progressive de motifs simples. Le travail sur le timbre y est aussi intéressant : en superposant divers instruments acoustiques, Reich produit des timbres dont on ne reconnait plus vraiment l’origine. Les premières et dernières parties, toutes deux intitulées Pulses, sont particulièrement fascinantes.
Alors oui, c’est répétitif, mais c’est le principe même de cette musique, qui n’est peut-être pas ancrée dans la culture occidentale (du moins avant l’arrivée de la techno…) mais donc la structure est très proche des musiques traditionnelles d’autres régions du monde. Comme avec les musiques de transe, il faut se laisser porter, je dirais presque hypnotiser, par cette répétition (ou plutôt cette pseudo-répétition, car le morceau évolue en permanence). Cette musique s’écoute peut-être d’une autre manière que du Céline Dion (qui ne s’écoute pas du tout, en fait c’est un mauvais exemple), mais si l’on est capable de s’ouvrir à elle, de prendre le temps de la découvrir sans zapper au bout de deux minutes en disant « pfff, c’est toujours la même chose », elle ouvre de nouveaux horizons musicaux…
En résumé : au petit jeu des disques à emporter sur une île déserte, Music for 18 musicians se trouverait certainement dans ma valise…
Version interprétée par le Steve Reich Ensemble en 2008 à l’opéra de Tokyo (Steve Reich, c’est le gars avec la casquette…)
Une autre version interprétée par un autre ensemble, mais avec une video de meilleure qualité
Plus d’information au sujet de cette oeuvre sur Wikipedia